Père Christian MELLON (s.j.)
Le chemin de la paix :
respecter les identités
En
ce début d’année, la tradition nous invite à nous souhaiter la paix. Et
donc, si nous sommes sincères, à être lucides sur ce qui menace la
paix. À travers la planète, c’est hélas trop clair…
Mais dans notre pays même ? La montée des attitudes et des discours intolérants peuvent inquiéter les « artisans de paix ».
Beaucoup se joue autour des questions touchant nos « identités ». Les
débats autour de la récente loi « immigration » l’ont illustré. Bien
des Français croient que leur identité est menacée si nous accueillons
les exilés qui viennent chercher parmi nous la paix…
Parmi eux, bien des chrétiens : les courageuses positions de notre pape
François sont loin de faire consensus. Comment concilier l’exigence
évangélique d’accueil (Mt 25, 35) avec l’attachement à une identité
nationale qu’on imagine menacée si cet accueil est large ? L’encyclique
Fratelli Tutti (2020) indique un chemin pour vivre cette tension dans
la paix. Pour François, il n’est pas question de mépriser la
revendication d’identité, bien au contraire : « Tout comme il n’est pas
de dialogue avec l’autre sans une identité personnelle, de même il n’y
a d’ouverture entre les peuples qu’à partir de l’amour de sa terre, de
son peuple, de ses traits culturels. » (143)
Il dénonce, non sans humour, le « faux universalisme de celui qui a
constamment besoin de voyager parce qu’il ne supporte ni n’aime son
propre peuple » (99). Il faut être en paix avec soi-même pour bien
accueillir celui que la guerre a chassé de chez lui. Mais attention !
Il y a des identités respectables, parce qu’elles créent de la cohésion
et sont ouvertes sur l’universel, et d’autres qui sont sources de
violences parce qu’elles excluent, enferment et divisent.
Disciples de Jésus, nous découvrons, en méditant la parabole du Bon
Samaritain que notre amour du prochain ne peut avoir de frontières.
C’est au nom de notre identité de disciples de Jésus que nous avons à
lutter contre ce qui affaiblit le « désir universel d’humanité » :
désintérêt pour le bien commun, individualisme exacerbé, diffusion
d’idéologies xénophobes, mépris pour les personnes « qui ne servent à
rien », dévalorisation de mots comme démocratie, liberté, justice,
droits de l’homme, etc. La « mondialisation de l’indifférence »,
dénoncée par François à Lampedusa en juillet 2013, poursuit sous nos
yeux ses ravages guerriers et meurtriers (en 2023, 2 800 personnes se
seraient noyées dans la Méditerranée).
Une formule résume bien sa proposition, adressée à tous les hommes de
bonne volonté, pas seulement aux croyants : il faut « penser un monde
ouvert où il y ait de la place pour tout le monde, qui intègre les plus
faibles et qui respecte les différentes cultures » (155).
Seul un tel monde pourra connaître une véritable paix, fondée, comme
nous y invite toute la Bible, sur la justice : « Justice et paix
s’embrassent. » (Psaume 85)